Chapitre 18

 

 

Chattan, le cousin de Sholto, était posté devant la porte, ayant repris sa fonction de sentinelle. Son frère n’était pas avec lui. Un Volant de la Nuit un peu plus petit que moi était plaqué contre le mur de l’autre côté du chambranle, ses ailes gigantesques repliées autour de lui tel un manteau noir. Je scrutai ses immenses yeux sans paupières, et après avoir brièvement reporté mon attention sur ceux de Chattan, sombres, démesurés et comme liquéfiés, leur origine génétique me fut nettement révélée. Il était le cousin paternel de Sholto.

— Princesse Meredith, heureux de vous voir rétablie, m’accueillit Chattan en se mettant au garde-à-vous. Je vous présente Tarlach, notre oncle.

Je savais ce qu’il voulait dire par « notre ».

— Mes salutations, Oncle Tarlach. Enchantée de faire la connaissance d’un nouveau membre de la famille de mon Roi.

Tarlach m’adressa une courbette en ce mouvement fluide si caractéristique des Volants de la Nuit, dont la colonne vertébrale semblait fonctionner comme ne le pourrait jamais celle des humains. Sa voix contenait ces notes sifflantes dignes d’un Gobelin-Serpent, mais on distinguait également dans ses paroles une sonorité rappelant le mugissement du vent au travers du ciel, comme si ces cris que poussaient à l’automne les oies sauvages s’étaient entremêlés aux grondements menaçants de l’orage pour se faire parole humaine.

— Cela fait fort longtemps qu’un Sidhe m’a dit « oncle ».

— Je porte l’enfant de votre neveu et Roi. Selon la loi des Sluaghs, cela fait que nous sommes de la même famille.

Les Sluaghs n’y vont jamais par quatre chemins pour accroître leur parenté. Le sang appelle le sang.

À la Cour Unseelie, « de sang à sang » aurait été le genre de tirade qui n’aurait rien auguré de bon mais, chez les Sluaghs, cela signifiait simplement que je portais en moi les gènes de Tarlach.

— Vous connaissez nos us et coutumes. Voilà qui est appréciable. Vous êtes bien la fille de votre père.

— Partout où je me rends en dehors de la Cour Unseelie, je rencontre des gens qui lui vouaient un grand respect. J’aurais cependant préféré qu’il ait été un tout petit peu moins sympathique et plus impitoyable.

Tarlach haussa ce qui aurait pu passer pour des épaules si sa carrure avait été plus nette, mais mon tuteur Volant de la Nuit, Bhátar, m’avait appris que ce mouvement équivalait chez eux à un acquiescement.

— Vous pensez que sa vie aurait été épargnée ? demanda-t-il.

— J’ai l’intention de le découvrir.

— Vous avez l’intention de vous montrer plus impitoyable que votre père ? s’étonna Chattan.

Je tournai les yeux vers lui en opinant du chef.

— Emmenez-moi au bureau pour que je passe un coup de fil, et j’essaierai de montrer tout autant de sens pratique que de surprise.

— Quelle aide pourrez-vous obtenir d’un téléphone contre les Seelies ? demanda Tarlach de cette voix évocatrice de vents et tempêtes.

Tous les Volants de la Nuit n’avaient pas cette intonation typique qui indiquait une appartenance royale, mais aussi de grand pouvoir. Même parmi la famille régnante, tous n’en étaient pas dotés.

— Je vais appeler la police pour leur signaler que mon oncle cherche à nouveau à me kidnapper. Ils viendront me porter secours, et lorsque je serai partie, le danger que les Seelies représentent pour vous disparaîtra avec moi.

— Si les Sluaghs ne peuvent résister aux Seelies, les humains ne le pourront pas davantage, fit observer Chattan.

— Mais si les Seelies osent s’attaquer aux policiers, ce sera une violation du traité qu’ils ont signé à leur arrivée aux États-Unis, autant dire à une guerre contre les humains, au risque d’être bannis de ce pays.

— Vous ne cherchez pas à les combattre, mais plutôt à les dissuader de déclencher un conflit, dit Tarlach.

— Précisément.

La fente lui servant de bouche se recourba en un sourire qui plissa ses yeux sans paupières d’heureuses courbes, c’est ce que j’avais pensé dans mon enfance lorsque Bhátar m’avait aussi largement souri.

— Nous allons vous conduire au bureau, mais notre neveu de Roi s’est engagé dans un autre type de combat, auquel la police humaine ne sera d’aucune aide.

— Explique-nous ça en chemin, dit Mistral.

Tarlach leva les yeux et lança au grand Sidhe un regard loin d’être amical, bien que je ne sois pas sûre que Mistral soit en mesure de le décrypter. Ayant grandi avec un Volant de la Nuit, j’en étais capable.

— Les Sidhes ne font pas la loi ici, lui rétorqua-t-il avant de reporter son attention sur Doyle.

— La Reine m’a ordonné en une occasion de tenter de devenir votre Roi, mais vous m’avez rejeté, et le vote des Sluaghs est décisif. J’ai obéi à son ordre, pas davantage.

— Cela nous a laissé un goût amer, assena Tarlach.

— La Reine ordonne et les Corbeaux obéissent, répliqua Doyle.

Un vieux dicton unseelie que je n’avais pas entendu depuis un certain temps.

— On raconte que la Princesse n’est que la marionnette des Ténèbres, mais tu es resté bien silencieux.

— La Princesse se débrouille très bien toute seule.

— Il est vrai.

Puis Tarlach sembla avoir pris une décision, car il avança dans le corridor. Si gracieux soient-ils dans les airs, les Volants de la Nuit l’étaient beaucoup moins sur la terre ferme.

— Nous avons entendu dire que les Sluaghs avaient élu un nouveau Roi parce qu’ils redoutaient que Sholto ne se réveille pas à temps pour traiter avec les Seelies, dis-je en lui emboîtant le pas avant de parvenir à son niveau, Mistral et Doyle sur les talons, tout comme ils auraient escorté la Reine, Chattan fermant la marche.

— Ce n’est pas que ça, Princesse Meredith. Le bosquet que vous avez créé avait une apparence terriblement seelie, quoique le portail en os ait été un joli détail.

— Il a été conçu par ma magie et celle de Sholto.

— Mais il était rempli de fleurs et d’éclat de soleil. Ce qui n’est pas très unseelie, et pas du tout sluagh.

— Je n’ai pas toujours la possibilité de choisir la manière dont se manifeste la magie.

— Il s’agit de la magie sauvage, qui choisit elle-même son chemin tout comme l’eau trouvera une fissure dans la roche.

Je ne pus que l’approuver de la tête.

— Y a-t-il un risque qu’ils tentent de renverser Sholto ?

— Certains craignent qu’en s’unissant à vous il ne détruise les Sluaghs. Ils ont choisi un Volant de la Nuit pure souche pour le remplacer. Seul le fait que Sholto se soit révélé le meilleur et le plus juste des souverains lui a épargné de se réveiller dans un royaume qui n’était plus le sien.

— Pardonne-moi, intervint Doyle, mais les Sluaghs ne peuvent-ils simplement destituer leur Roi par les urnes ?

Tarlach lui répondit sans même daigner tourner les yeux vers lui.

— Cela s’est déjà vu.

Nous avançâmes en silence quelques minutes. Le sithin des Sluaghs ressemblait beaucoup à celui des Unseelies, avec de sombres murailles rocheuses et des sols dallés de pierres froides et usées. Mais cette énergie qui vrombissait, pulsait, omniprésente dans tout monticule de la Féerie, à moins qu’on ne la bloque, y était légèrement différente, s’apparentant à ce qui distingue une Porsche d’une Mustang, deux voitures de haute performance, mais alors que l’une ronronnait, l’autre rugissait. Le sithin des Sluaghs rugissait aussi, son énergie m’appelant de plus en plus irrésistiblement à mesure que nous y pénétrions.

Je m’arrêtai si brusquement que Doyle dût s’appuyer sur mon épaule pour éviter de me rentrer dedans.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’enquit-il.

— Nous passerons ce coup de fil, mais Sholto a besoin de moi tout de suite.

— Que vous soyez à ses côtés sera pour eux de peu de réconfort, me dit Tarlach.

— Je sais que, pour eux, je ressemble beaucoup trop à une Sidhe, cependant c’est le pouvoir qu’ils doivent percevoir. Le sithin s’exprime. Ne le percevez-vous pas ?

Tarlach, les yeux levés vers moi, me regardait fixement.

— Je l’entends, mais je suis un Volant de la Nuit.

— Cela me parvient comme un rugissement s’amplifiant, comme la pluie et le vent accompagnant un orage phénoménal qui se rapproche inexorablement. Je dois être aux côtés de Sholto lorsqu’il se confrontera à son peuple.

— Vous êtes trop Sidhe pour pouvoir l’aider, dit Chattan.

— Ce n’est pas ce que votre sithin semble penser, rétorquai-je avec un hochement de tête catégorique.

Cette sonorité se mit à pulser contre ma peau, comme si quelque gigantesque moteur vibrait contre mon corps.

— Nous n’avons pas le temps, ajoutai-je. Le sithin a choisi son Roi, Sholto, comme tous les sithins le faisaient autrefois. Il n’en choisira pas un autre, et votre peuple fait la sourde oreille.

— Si vous êtes vraiment sa Reine, et si le sithin dit vrai, alors demandez-lui d’ouvrir la voie d’ici à la Chambre des Décisions. Il peut bien vous parler, mais vous écoute-t-il ?

Je me rappelai du mur qui avait tenté de se refermer contre ma volonté, mais cela avait été mon souhait et ce monarque de substitution avait œuvré pour contrecarrer mes projets. À présent, je voulais la même chose que le sithin : aider notre Roi.

— Sithin, ouvre la voie vers notre Roi et la Chambre des Décisions.

L’énergie vibrante se fit si audible que rien d’autre ne me parvenait si ce n’était le rugissement et la pulsation qui en émanaient. Je vacillai quelques instants et dus me retenir au corps lustré et musclé de Tarlach. Il se pouvait que ce soit le fait que je cherche ainsi à me rattraper à un Volant de la Nuit plutôt qu’à un Sidhe, mais quelle qu’en soit la raison, devant nous, le corridor se transforma soudainement en une grotte gigantesque, donnant sur un spacieux amphithéâtre, où je pus voir des Sluaghs assis sur des gradins qui s’élevaient à l’infini.

Sholto se tenait debout sur le sol sablonneux face à un corpulent Volant de la Nuit presque aussi grand que lui, qui déploya ses ailes en nous accueillant avec des cris perçants. Sholto, qui avait tourné la tête vers nous, l’air surpris, n’eut que le temps de dire :

— Meredith !

Lorsque le Volant de la Nuit se rua sur nous, Tarlach prit instantanément son envol pour venir à sa rencontre et s’engager dans un combat aérien.

— Vous n’auriez pas dû venir ici ! nous sermonna Sholto, tout en me prenant la main tandis que les Sluaghs sur leurs bancs commençaient à s’agiter et se mettaient à se battre entre eux !

Les ténèbres dévorantes
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